La Cour d’appel de Paris (CA Paris, 14 février 2024 nº 22/18071) a condamné Orange pour contrefaçon de logiciel à raison de la violation de la licence GNU GPL v.2.
- Rappel des faits
La société Entr’Ouvert a développé le logiciel LASSO (Liberty Alliance Single Sign On) qu’elle exploite depuis mars 2004.
Le logiciel LASSO permet la mise en place d’un système d’authentification unique, afin que l’internaute ne s’identifie qu’une seule fois pour accéder à plusieurs services ou sites en ligne, évitant ainsi d’avoir autant d’identifiants que de services en ligne.
La société Entr’Ouvert a fait le choix de diffuser le logiciel LASSO sous la licence libre GNU GPL version 2, ou sous licence commerciale en contrepartie du paiement de redevances si l’utilisation du logiciel LASSO est incompatible avec la licence GNU GPL.
En 2005, Orange a remporté un appel d’offre en vu de la conception et la réalisation d’une partie du portail « Mon Service Public » : Orange devait fournir une solution informatique de gestion d’identités et des moyens d’interface à destination des fournisseurs de services.
La plateforme logicielle dite Identité Management Plateform (« IDMP ») développée par Orange intégrait le logiciel LASSO dans sa version GNU GPL v.2 sous licence libre.
La société Entr’Ouvert, estimant que la mise à disposition du logiciel LASSO par Orange dans le cadre du projet « Mon Service Public » n’était pas conforme aux dispositions de la licence libre, a fait assigner Orange en contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme.
- Contexte : la licence libre GNU GPL version 2
La licence GNU General Public License (GPL) est l’une des licences les plus célèbres dans le domaine du logiciel libre et open source. Elle vise à permettre à l’auteur d’un logiciel de garantir la liberté de l’utiliser, le modifier et le distribuer.
Dans le cadre de ce litige, la version 2 de cette licence était applicable. Depuis le 29 juin 2007, la version 3 est communément utilisée.
Contrairement aux licences commerciales classiques qui imposent souvent des restrictions sur l’utilisation et la redistribution du logiciel, la licence GNU GPL favorise la liberté en exigeant notamment que toute distribution du logiciel sous cette licence soit accompagnée du code source et que les œuvres dérivées soient également distribuées sous licence GNU GPL.
- Contrefaçon à raison de la violation de la licence GNU GPL
3.1. La contrefaçon comme fondement
Dans le cadre de cette affaire, la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 19 mars 2021 2024 nº 11/07081) avait préalablement considéré qu’en fondant sa demande sur la violation de dispositions contractuelles, la société Entr’Ouvert était irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon. Elle avait cependant condamné Orange au titre du parasitisme, considérant que Orange « a, sans bourse délier, utilisé le savoir-faire, le travail et les investissements de la société Entr’Ouvert ».
Mais la Cour de cassation a partiellement cassé cet arrêt, considérant que la violation d’un contrat de licence pouvait être attaqué sur le terrain de la contrefaçon (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 octobre 2022, 21-15.386).
Reprenant la décision de la Cour de cassation et citant l’arrêt de la CJUE C-666/18 du 18 décembre 2019 IT Development c/ Free Mobile, la Cour d’appel rappelle ainsi que « la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’« atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».
En d’autres termes, en cas d’atteinte portée à ses droits d’auteur par la violation des termes de la licence de son logiciel, le titulaire est fondé à agir en contrefaçon.
Il appartient alors au titulaire d’apporter les preuves nécessaires à une action en contrefaçon de droit d’auteur, à savoir l’originalité de son logiciel et la violation de ses droits de propriété intellectuelle.
3.2. Les actes constitutifs de la violation de la licence
En l’espèce, après avoir apporté la preuve de l’originalité de son logiciel LASSO, la société Entr’Ouvert a invoqué la violation des articles 2, 3, 4 et 10 du contrat de licence GNU GPL v.2, qu’il est possible de résumer ainsi :
- Article 2 : autorise les modifications du logiciel et la distribution de ces modifications à condition de respecter certaines exigences, notamment de munir les fichiers modifiés d’un avis de modification bien visible et que tout logiciel dérivé contenant le logiciel d’origine soit concédé comme un tout, à titre gratuit, sous licence GNU GPL ;
- Article 3 : autorise la distribution du logiciel sous forme de code objet ou exécutable à condition de l’accompagner de la distribution de l’intégralité du code source ou d’une proposition écrite de fournir le code source ;
- Article 4 : interdit de copier, modifier, concéder en sous-licence ou distribuer le logiciel sauf selon les conditions expressément prévues par la licence GNU GPL ;
- Article 10 : l’intégration du logiciel sous licence GNU GPL dans d’autres logiciels libres dont les conditions de distribution sont différentes nécessite l’autorisation de l’auteur.
Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Paris a retenu que Orange avait bien violé ces 4 dispositions de la licence GNU GPL v.2 :
- En ayant procédé à des modifications du logiciel LASSO sur lequel est fondé IDMP et en ne concédant pas IDMP comme un tout gratuit auprès de l’Etat, Orange a violé l’article 2 de la licence ;
- En n’ayant pas communiqué le code source de LASSO alors que Orange a bien « distribué » la bibliothèque LASSO en ayant vendu, livré et transféré à l’Etat l’ouvrage IDMP fondé sur LASSO, Orange a violé l’article 3 de la licence ;
- En copiant, modifiant et distribuant LASSO sans respecter l’ensemble des conditions du contrat de licence GNU GPL, Orange a violé l’article 4 de la licence ;
- En incorporant LASSO dans la plateforme IDMP, dont les conditions de distribution sont différentes de la licence GNU GPL, et sans obtenir l’autorisation de la société Entr’Ouvert, Orange a violé l’article 10 de la licence.
Par ailleurs, l’examen du code source a permis de démontrer que la distribution d’IDMP s’est faite uniquement sous le nom de « France Telecom » alors que deux versions de LASSO ont été utilisés. La Cour d’Appel a donc également retenu une violation du droit moral de la société Entr’Ouvert.
Partant, la Cour d’Appel de paris, complétant la condamnation pour parasitisme devenue définitive, a considéré que Orange a commis des actes de contrefaçon du logiciel LASSO par violation du contrat de licence GNU GPL v2 en ses articles 2, 3, 4 et 10 et non-respect de son droit moral.
Pour exploiter le logiciel LASSO comme elle l’a fait, Orange aurait dû conclure un contrat de licence commerciale avec la société Entr’Ouvert.