Arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2024 : la revente de jeux vidéo dématérialisés peut être interdite, c’est confirmé !
La Cour de cassation s’est prononcée le 23 octobre 2024 dans l’affaire opposant Valve (Steam) à l’association UFC QUE Choisir.
Cet arrêt fait suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 21 octobre 2022 : qui avait infirmé la décision rendue en première instance (tribunal de grande instance du 17 septembre 2019.
Pour rappel, la plateforme Steam propose un service de distribution en ligne de contenus numériques dont des jeux vidéo. Pour accéder à ces contenus l’utilisateur doit télécharger un logiciel et accepter les conditions de Valve, l’ « Accord de souscription Steam ».
En 2015, l’association UFC Que Choisir a assigné les sociétés Valve SARL et Valve corporation en constatation du caractère abusif ou illicite et en suppression de plusieurs clauses de l’accord de souscription. A ce titre, était notamment contestée la licéité de la clause d’interdiction de la revente des jeux vidéo dématérialisés.
En première instance, le tribunal judiciaire de Paris a sanctionné l’interdiction de la revente des jeux vidéo dématérialisés estimant que la règle de l’épuisement des droits prévue par la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 relative à la protection juridique des programmes d’ordinateur s’appliquait aux jeux vidéo dématérialisés. Cette décision s’inscrivait dans le sillage de la décision CJUE du 3 juillet 2012, UsedSoft, C-128/11 qui avait appliqué la règle de l’épuisement des droits aux copies matérielles et immatérielles d’un programme d’ordinateur. Cette solution pouvait en partie s’expliquer au regard de la similitude technique des jeux dématérialisés, c’est-à-dire de jeux entièrement composés de lignes de code, aux programmes d’ordinateur.
Pour rappel, la règle de l’épuisement des droits est un mécanisme prévoyant que le droit de distribution dans l’Union européenne ou l’EEE relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans l’UE ou l’EEE de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement. Ainsi, le titulaire du droit ne peut pas continuer à contrôler les ventes successives.
La règle de l’épuisement des droits est prévue par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 applicable au droit d’auteur et par la directive 2009/24 applicable aux programmes d’ordinateur.
Le tribunal judiciaire de Paris avait donc appliqué le régime applicable aux programmes d’ordinateur au jeu vidéo dématérialisé.
Ce n’est cependant pas la solution qu’ont retenue la Cour d’appel et la Cour de cassation.
En appel, les juges ont estimé que la directive n’était pas applicable à la revente de jeux vidéo dématérialisé dès lors que le jeu vidéo dématérialisé est constitué d’un ensemble de contenus protégés par des droits de propriété intellectuelle qui ne se limite pas au simple programme d’ordinateur : en effet, un jeu vidéo est composé de programmes, de musique, de design etc. La Cour d’appel de Paris a écarté la règle de l’épuisement des droits à la revente de jeux vidéo dématérialisés, estimant notamment, d’un point de vue économique, que le préjudice lié à la revente de jeux vidéo dématérialisé pour les auteurs est plus conséquent que pour le marché d’occasion des programmes d’ordinateurs.
L’UFC Que Choisir a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt estimant notamment que « le logiciel d’un jeu vidéo n’est pas accessoire et relève, par sa nature, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009, et non pas de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 ; qu’en outre, s’agissant du marché des copies de jeux vidéo, ou marché de l’occasion, il n’existe aucune différence selon que la copie est faite à partir d’un support matériel ou à partir d’internet ».
La Cour de cassation rejette ce moyen du pourvoi à l’aune de la jurisprudence de la CJUE interprétant les considérants de la directive 2001/29 (arrêts du 22 janvier 2015, Art & Allposters International, C-419/13 et du 19 décembre 2019, Tom Kabinet, C-263/18) suivant laquelle la directive ne laisse pas la possibilité aux Etats membres de prévoir une règle d’épuisement autre que celle énoncée par la directive et que cet épuisement s’applique à l’objet tangible dans lequel un œuvre protégée ou sa copie est incorporée c’est-à-dire qu’aux produits matériels.
Elle estime par ailleurs que la directive sur les programmes d’ordinateurs constitue un lex specialis dont le champ d’application doit être interprété de manière restrictive. Reprenant les motifs de la Cour d’appel suivant lesquels le jeu vidéo n’est pas un programme informatique à part entière mais un œuvre complexe et « que, à la différence d’un programme d’ordinateur destiné à être utilisé jusqu’à son obsolescence, le jeu vidéo se retrouve rapidement sur le marché une fois la partie terminée et peut, contrairement au logiciel, être encore utilisé par de nouveaux joueurs plusieurs années après sa création », elle écarte en conséquence l’application de la directive 2009/24 applicable aux programmes d’ordinateur.
Elle conclut que la Cour d’appel a déduit à bon droit que seule la directive 2001/29 est applicable aux jeux vidéo, que la règle de l’épuisement du droit ne s’applique pas en l’espèce.
La solution est évidemment une bonne nouvelle pour les éditeurs de jeux vidéo dès lors qu’ils peuvent interdire la revente des jeux vidéo dématérialisés et ainsi conserver un contrôle sur la chaîne de distribution.
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