Le dépôt d’une marque est un acte essentiel pour la protection des droits du déposant.
Il est fréquent que le dépôt survienne avant toute utilisation de la marque, à la fois parce que le développement d’une marque accompagne souvent le lancement des produits et services qu’elle sert à identifier, mais également parce que tout usage d’une marque non protégée est susceptible de donner lieu à un dépôt ultérieur par un tiers mal intentionné.
Le dépôt d’une marque similaire à une marque antérieure a par ailleurs longtemps constitué un acte susceptible d’une condamnation en contrefaçon pour le déposant postérieur.
Deux arrêts récents de la Cour de cassation (arrêts du 13 octobre 2021, pourvois n°19-20.504 et 19-20.959) viennent cependant de remettre en question cette jurisprudence jusque-là constante dans les arrêts de la Cour.
Dans le premier pourvoi, une société titulaire de la marque [XPOD] demandait la nullité de la marque postérieure [Z POD] et la condamnation en contrefaçon de la société l’ayant déposée. La Cour d’appel lui a donné droit s’agissant de la nullité de la marque, mais a rejeté la demande de condamnation en contrefaçon. La société s’est alors pourvue en cassation.
Le second pourvoi est intervenu suite au dépôt par les anciens propriétaires d’un fonds de commerce de plusieurs marques auprès de l’Inpi. L’acquéreur du fonds, qui comprenait plusieurs éléments incorporels – marques, enseigne et nom commercial – soutenait que les marques déposées par son vendeur étaient similaires à celles incluses dans le fonds de commerce. Pour l’acquéreur, ce dépôt constituait dès lors une violation des droits acquis lors de la cession.
L’Inpi ayant rejeté les demandes d’enregistrement des marques ultérieures, l’acquéreur du fonds a sollicité la condamnation en contrefaçon du vendeur. Face au refus de la Cour d’appel, il s’est pourvu en cassation.
La Cour de cassation a rejetté les deux demandes en condamnation en contrefaçon en reconnaissant s’écarter de sa jurisprudence ordinaire. Elle a motivé ses décisions par plusieurs références à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Les critères servant à qualifier la contrefaçon sont semblables dans la jurisprudence la CJUE et de la Cour de cassation, le signe contrefaisant devant :
- Être utilisé dans la vie des affaires ;
- En l’absence du consentement du titulaire de la marque antérieure ;
- Pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés par la marque antérieure ; et
- Créer un risque de confusion dans l’esprit du public du fait de son utilisation (portant en conséquence atteinte à la fonction essentielle de la marque, à savoir, l’identification de l’origine des produits ou services proposés).
La différence principale entre la pratique de la Cour de cassation et celle de la CJUE reposait jusqu’à présent sur la définition retenue de la notion « d’utilisation dans la vie des affaires ».
La Cour de cassation considérait en effet que : « le dépôt à titre de marque d’un signe contrefaisant constitue à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation ».
Au contraire, dans une lecture plus stricte du terme « utilisation », la CJUE ne considérait pas qu’un dépôt de marque, même lorsqu’il donne lieu à enregistrement, constitue un acte de contrefaçon.
A la suite des pourvois susmentionnés, la Cour de cassation a indiqué renoncer à sa précédente jurisprudence, issue de l’interprétation des articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle dans leur ancienne rédaction.
La Cour de cassation indique dès lors dans les deux pourvois que : « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. ».
En conclusion, la Cour de cassation semble désormais appliquer le principe issu du droit européen selon lequel le dépôt d’une marque ne peut à lui seul constituer un acte de contrefaçon.
La rédaction des deux pourvois conduit à penser qu’il ne s’agit pas d’arrêts d’espèce, mais bien d’une transformation en profondeur et pérenne de la pratique de la Cour.
Sources :