Le 20 février 2025, la Cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 10) a rendu un arrêt intéressant concernant le droit à l’oubli et la liberté d’expression. Cette décision met en lumière les tensions entre la protection des données personnelles et le droit du public à l’information.
I. Résumé de la décision
M.X, ancien président de la section football du Racing Club de France au cours des années 2002 et 2004, avait été condamné en 2009 par le tribunal correctionnel de Nanterre, à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 20 000 euros pour complicité d’abus de confiance et recel de biens obtenus à l’aide d’un abus de confiance, ainsi que pour abus de biens sociaux.
Les faits reprochés portaient sur des détournements de subventions destinées à une association, utilisées pour la gestion du club et le paiement de joueurs.
A la suite de l’appel de ce jugement, la cour d’appel de Versailles, en 2011, avait partiellement infirmé le jugement, réduisant la peine d’emprisonnement avec sursis à un an et augmentant l’amende à 30 000 euros, tout en ordonnant l’exclusion de cette condamnation du bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. X.
Entre ces deux décisions, le 15 juin 2009, le journal 20 Minutes avait publié un article intitulé « Il détournait de l’argent pour un club », relatant cette affaire.
Dix ans après, en 2019, M. X. avait demandé à 20 Minutes de supprimer ou d’anonymiser l’article en question, invoquant le droit à l’oubli prévu par le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Le journal avait mis à jour l’article en mentionnant l’appel, mais avait refusé de le supprimer ou de l’anonymiser. M. X. avait alors assigné 20 Minutes en justice, demandant la suppression de l’article ou, à défaut, l’anonymisation de son nom.
Dans l’instance relative à la suppression de l’article de 20 Minutes, le tribunal judiciaire de Paris a rejeté les demandes de M.X, estimant que l’article contribuait à un débat d’intérêt général et que le maintien en ligne de l’article, même ancien, était justifié. M. X. a donc interjeté appel de cette décision.
En appel, la cour rappelle tout d’abord que « si le droit à l’effacement comme le droit d’opposition ne s’appliquent pas si le maintien des données est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ou s’il est motivé par des motifs légitimes et impérieux, il convient d’apprécier avant tout en l’espèce si les données d’identification de la personne et la mention de sa condamnation pénale doivent être considérées comme nécessaires à la liberté d’expression. »
Sur le fondement des articles 17 (droit à l’effacement) et 21 (droit d’opposition) du RGPD, la cour d’appel de Paris confirme le jugement, considérant que :
- L’article de 20 Minutes relatait des faits avérés et portait sur un sujet d’intérêt général d’actualité, justifiant ainsi sa diffusion ;
- La mise à jour de l’article en 2019, mentionnant l’appel, était suffisante pour informer les lecteurs de l’évolution de l’affaire ;
- Le droit à la protection des données personnelles ne saurait être interprété comme un droit à faire disparaître des contenus médiatiques publiés sur internet, indépendamment d’un abus de la liberté d’expression.
II. Analyse de l’arrêt d’appel
Cette décision illustre l’équilibre délicat entre le droit à l’oubli et la liberté d’expression. Elle rappelle la double limite, (i) à la fois des droits de personnes concernées au titre du RGPD, (ii) et des droits des organes de presse dans l’exercice de la liberté d’expression.
(i) Le RGPD reconnaît le droit des individus à obtenir l’effacement de données personnelles les concernant et/ou de s’opposer à un traitement. Cependant, ce droit n’est pas absolu et doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression et le droit du public à l’information.
Au visa des articles 17 et 21 du RGPD, les juridictions procèdent alors à une analyse in concreto de la notion de nécessité du maintien de l’information dans le cadre de la liberté d’expression.
A ce titre, la cour relève que l’article de 20 Minutes, bien que relatif à des faits anciens, conserve un intérêt public. En effet, elle relève que l’information s’inscrit dans le sujet toujours actuel des relations entre le sport et l’argent, notamment de la gestion des fonds publics dans le milieu sportif.
Elle ajoute que M. X. reste une personnalité publique en raison de ses fonctions passées et présentes, M. X. étant resté dirigeant dans le domaine sportif (président de la fédération française des sports de combat, président de la fédération des sports de combat au Luxembourg) et une personnalité du monde politico-médiatique.
Sur la demande d’anonymisation de l’article, la cour considère qu’en l’espèce, le nom est un élément essentiel de l’information et que restreindre son accès, constitue une restriction excessive à la liberté de la presse.
De plus, la mise à jour de l’article pour refléter l’évolution de la procédure judiciaire a été jugée suffisante pour assurer une information complète et précise du public, nonobstant le fait :
- qu’il existe une erreur sur les sommes détournées, la différence ne suffisant pas, selon la cour, à considérer que l’information était fausse ;
- que la mention de l’appel de la décision du tribunal correctionnel de Nanterre n’est pas assez directe, cela ne rendant pas non plus l’information inexacte.
Elle rappelle enfin que la dispense d’inscription de la condamnation au casier judiciaire B2, n’interdit pas la connaissance de l’information par le public.
En conséquence, les médias, en tant qu’acteurs essentiels de la démocratie, ont la liberté d’informer le public sur des sujets d’intérêt général, y compris les condamnations pénales de personnalités publiques.
(ii) Cependant, cette liberté n’est pas sans limites. Les médias doivent veiller à la véracité des informations diffusées et à leur mise à jour en cas d’évolution significative, comme une décision judiciaire modifiant une condamnation. Dans cette affaire, la cour considère que 20 Minutes a respecté cette obligation en mentionnant l’appel et l’infirmation partielle de la peine.
Par ailleurs, la cour rappelle que la dérogation des organes de presse au regard du droit à l’oubli consacré tout d’abord, par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Google Spain (CJUE, arrêt du 13 mai 2014, Google Spain, C-131/12), puis par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, Hurbain c. Belgique 4 juillet 2023) n’est pas non plus absolue.
Ainsi, pour les archives de presse, l’organe de presse est tenu de démontrer que la persistance de la publicité des données est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information et ne porte pas une atteinte exagérée au droit à l’oubli et au respect de la vie privée, en reprenant les critères dégagés par l’arrêt Hurbain c/ Belgique, à savoir :
- Le temps écoulé depuis les faits rapportés et l’intérêt contemporain de l’information ;
- La notoriété de la personne ;
- La nature de l’information archivée ;
- Les répercussions négatives de la persistance de l’information sur le site ;
- L’impact de la mesure sur la liberté d’expression et le degré d’accessibilité.
En conclusion, cette décision rappelle que la protection des données personnelles ne doit pas conduire à une réécriture de l’histoire ou à une censure injustifiée de l’information. Les médias ont la liberté d’informer le public sur des sujets d’intérêt général, même si cela implique la diffusion d’informations sensibles concernant des individus. Toutefois, ils doivent veiller à respecter les droits des personnes concernées, notamment en mettant à jour les informations publiées pour refléter fidèlement la réalité et en tenant compte du temps écoulé depuis les faits et de l’atteinte potentielle à la réputation de l’individu.
Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 février 2025
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